par admin_ext Dans le cadre du débat sur la “vision du Mind Mapping” voici la réponse de Marco Bertolini, fondateur, associé et consultant pour la Lingua Franca Academy : une entreprise spécialisée dans la formation et l’accompagnement de carrière à l’international. Il est aussi l’auteur du blog Formation 3.0. Quelle est votre définition du Mind-Mapping et comment l’utilisez-vous ACTUELLEMENT ? Si vous m’aviez posé la question il ya a deux ans, je vous aurais répondu que c’est un outil formidable. Depuis, j’ai eu de nombreux échanges dans des groupes de discussions ou avec des collègues et mon expérience personnelle a évolué. Aujourd’hui, je vous répondrai que pour moi le mindmapping – et la pensée visuelle en général – est avant tout une démarche intellectuelle, presque une philosophie. Une démarche qui tente de rendre les choses visibles, y compris les concepts les plus abstraits, les relations les plus complexes, les processus les plus compliqués. Léonard de Vinci disait : « la simplification est la sophistication extrême ». Je pense que la pensée visuelle parvient à ce type de sophistication : rendre visuellement simples les pensées les plus complexes. Une carte mentale ou conceptuelle réussie, c’est la synthèse d’une pensée, à la fois dans sa globalité et dans son détail le plus infime. En exprimant en même temps le système de relations qui relie les différentes parties entre elles et au tout. C’est extrêmement puissant comme démarche. Et cela correspond bien à notre besoin de sens et de clarté dans un monde englouti dans un déluge continu d’informations chaotiques. Or, l’information, ce n’est pas la connaissance. Nous n’avons jamais été si bien informés, mais j’ai parfois l’impression que nous n’avons jamais été aussi ignares. C’est assez récemment – et encore une fois grâce à des échanges avec des collègues comme Philippe Boukobza et Olivier Legrand – que j’ai compris ces phénomènes. L’information est une matière brute, objective. La connaissance, le savoir, c’est une construction subjective : c’est l’intégration de la nouvelle information dans votre système personnel de connaissances. Vous créez des relations entre la nouvelle information et ce que vous connaissez déjà, vous créez du sens pour vous-même. C’est pourquoi chacun d’entre nous dispose de sa propre encyclopédie, constituée de ses expériences, de ses connaissances et de sa façon unique de récolter et d’organiser les informations. Le mindmapping et la pensée visuelle permettent de construire son savoir de manière consciente, visible, qu’aucune autre forme de pensée n’autorise. Vous voyez littéralement les nouvelles notions s’intégrer à ce que vous connaissez. C’est particulièrement frappant lorsque dans un atelier vous demandez aux personnes de créer une mindmap pour résumer un article ou exprimer leur ressenti : vous n’obtenez jamais deux cartes identiques. Parce que chacune des personnes dans la pièce à son propre système de connaissances, de représentations. Les praticiens de la PNL disent « sa carte du monde ». La mindmap est la carte de notre monde mental, affectif, esthétique… Je l’utilise pour à peu près tout : que ce soit pour structurer un document ou une présentation, pour développer un nouveau projet de formation, pour élaborer un business plan, pour expliquer un point de grammaire néerlandaise, pour préparer une interview, pour aider une entreprise à évaluer le portefeuille de compétence de ses employés, etc. Il n’y a pas une opération intellectuelle qui ne puisse être traduite de manière visuelle. C’est difficile à croire quand vous n’êtes pas familiarisé avec ce type de démarche, mais je pense que tous les jours, des mappeurs inventent de nouveaux usages, de nouvelles solutions basées sur le mindmapping ou la pensée visuelle. Moi-même, c’est ce que je préfère : inventer de nouvelles solutions, de nouveaux outils, pour résoudre les problèmes et les nouveaux défis qui s’offrent aux entreprises, aux étudiants, etc. Comment pensez-vous que sa pratique va évoluer dans le futur à moyen (5 ans) et long terme (10 ans) ? C’est difficile à prévoir, pour plusieurs raisons. D’abord, nous ne sommes qu’au début des nouvelles technologies. Nous n’avons encore rien vu en matière d’intégration. Aujourd’hui, les distributeurs de boissons envoient des sms aux réparateurs pour les prévenir qu’ils sont en panne. Demain, votre voiture enverra peut-être une mindmap à votre garagiste pour lui expliquer pourquoi elle consomme davantage que le mois dernier. Difficile de dire comment le mindmapping va muter lorsque les nouvelles technologies seront complètement intégrées à notre univers, ce qui devrait advenir dans les dix prochaines années. D’autre part, les outils changent notre façon de travailler et de voir le monde. Un exemple : après l’apparition des premiers PC, Umberto Eco signalait déjà que le fait de pouvoir copier/coller un paragraphe changeait le style des écrivains et des journalistes. Aujourd’hui, nous avons tendance, de manière plus ou moins inconsciente, à écrire en blocs indépendants qui peuvent être déplacés, annulés, recopiés, etc. Le mindmapping a déjà connu une nette évolution depuis sa naissance. Lorsque Tony Buzan a créé ses premières cartes avec ses crayons de couleurs, l’objectif était strictement individuel : développement personnel, meilleure mémorisation, etc. Et puis, on s’est aperçu qu’une grande feuille de papier permettait des usages collectifs en classe, en groupes de travail, etc. Ensuite, avec la révolution informatique, les logiciels ont permis de retravailler indéfiniment une carte, de la modifier, de la reproduire. Avec Internet, nous avons pu les distribuer, les partager sur des sites, des blogs. Les réseaux sociaux nous habituent maintenant à tous partager en temps réel pour le meilleur et pour le pire. Le cloud computing nous permet aussi de dématérialiser, de délocaliser la production. Le mindmapping est forcément influencé par ces tendances. Aujourd’hui, il entre dans les salles de classe, dans les entreprises. S’il veut y rester et y progresser, il doit suivre, voire anticiper ces grandes tendances. Donc, à moyen terme, le mindmapping sera de plus en plus collaboratif. De plus en plus intégré à la vie des particuliers, des écoles et des entreprises. Avec des possibilités d’échanges accrues. Et des usages que nous ne soupçonnons probablement pas encore. Il y a dix ans, je ne suis pas sûr qu’on envisageait toutes les possibilités de gestion collaborative d’un projet. Aujourd’hui, tous les logiciels de mindmapping dignes de ce nom font des efforts considérables pour intégrer ces fonctions. Seuls ceux qui y parviendront résisteront au temps. Les autres disparaîtront ou se cantonneront à des usages privés. L’autre grande tendance est la visualisation de données complexes issues de bases de données. Si un logiciel de mindmapping est capable de vous fournir une visualisation de données issues de MS Project, il sera bientôt capable de le faire depuis n’importe quelle base de données. Il pourra informer les traders en temps réel de l’évolution de tel marché. Il pourra fournir une visualisation de la rentabilité d’une centrale électrique en temps réel sans intervention humaine. Je pense que les premiers usages du mindmapping – développement personnel, etc. – deviendront marginaux à très court terme, que les usages professionnels basés sur des technologies intégrées deviendront la norme. Comment devront évoluer les éditeurs de logiciels de Mind-Mapping ? Je pense que les mots-clés seront collaboration, intégration et inter-opérabilité. Les entreprises sont de plus en plus déterritorialisées : elles intègrent de nouvelles formes de travail. Télétravail, coworking, téléconférences, webinars, etc. L’équation est vraiment simple : les logiciels de mindmapping seront collaboratifs ou ils disparaîtront. Et je parle de collaboration en temps réel. Je travaille avec des gens en Malaisie, en Nouvelle-Zélande, au Moyen-Orient, aux Pays-Bas et en Belgique. J’aimerais pouvoir travailler en temps réel avec eux pour un coût qui ne soit pas prohibitif. Pour l’instant, c’est encore très limité. Comme je le disais plus haut, la tendance des nouvelles technologies, c’est l’intégration universelle. Il y aura bientôt l’équivalent d’un PC dans chaque voiture, dans chaque machine à laver, dans chaque machine-outil. Et la domotique arrive à grand pas, les compteurs intelligents en sont un premier exemple. Les logiciels de mindmapping devront tenir compte de cette évolution. Pourquoi ne pas fournir une information sur votre consommation de gaz sous forme visuelle, compréhensible d’un seul regard, plutôt que sous forme de colonnes de chiffres abscons ? Et enfin, et là, j’espère que c’est une tendance qui arrivera assez vite : l’interopérabilité entre les logiciels de mindmapping. Les producteurs font des efforts dans ce sens, mais c’est encore nettement insuffisant. Il y a quelques jours, je testais un logiciel de mindmapping. J’y ai importé une carte provenant d’une autre logiciel dont on m’annonçais la compatibilité. C’était une carte de gestion de projet avec des informations sur les tâches, les ressources, etc. La carte importée était presque identique à l’original : les couleurs et les images étaient respectées. Presque identique : ne manquaient que toutes les données sur la gestion du projet. C’est-à-dire l’essentiel. Dans une carte comme celle-là, que les couleurs ou les images diffèrent ne m’empêche pas de dormir. Par contre, j’aimerais ne pas devoir recommencer tout le travail de planification du projet… Microsoft et Apple se sont livrés à une guerre imbécile pendant des années. Ils ont finalement compris que l’interopérabilité était essentielle. Même chose pour Microsoft Office et OpenOffice qui sont de plus en plus compatibles. Les producteurs de logiciels de mindmapping devraient arriver à un format réellement interchangeable. Ceux qui le comprendront rapidement survivront. Tant pis pour les autres ! L’equipe de Signos remercie Marco Bertolini pour sa contribution.